Ruth Cornelisse
Exposition conçue et réalisée par Ruth Cornelisse, Mathilde Garcia Sanz, Xavier Delme et Julien Go.
Texte de communication de Clémentine May :
À l’attrape-couleurs, Ruth, Xavier, Julien et Mathilde ont choisi de réunir des œuvres issues de leurs pratiques personnelles et d’autres nées de collaborations dans une exposition faite de rapprochements et de dialogues, à l’image de l’amitié qui les soude. Photographies, installations d’objets, dessins, vidéo et performance forment un ensemble dont l’harmonie repose sur un réseau de correspondances, d’analogies et d’échos. A la surface de ce canevas s’esquissent des récits multiples, nourris d’expériences vécues et de références aux contes, aux mythes, à la poésie et au cinéma. La démarche des quatre artistes se caractérise moins par une ligne thématique évidente que par leur attitude réceptive vis-à-vis du monde qui les entourent. Pour eux, il s’agit de « faire venir les choses comme elles sont » et de savoir les cueillir au moment opportun. L’acte créatif naît de ces rencontres contingentes avec le réel, où l’intuition trouve son écho dans des événements qui adviennent. C’est ainsi que Ruth prend des photographies de ses proches ou de ses connaissances sans aucune mise en scène, saisissant sur le vif des images qui résonnent étrangement avec des figures imaginaires véhiculées par la peinture, la littérature ou le cinéma. Dans la performance des fleurs vibrant pour les yeux de personne, les mots de Mathilde semblent venir comme une réponse spontanée aux paroles de poètes danois et au son de la radio qui arrivent jusqu’à elle. Les dessins de Julien sont les pages disparates d’un journal intime réalisé jour après jour, dans lequel il met en forme des pensées qui lui viennent, des observations sur son environnement et des histoires. L’installation Équipage, qu’il a réalisée avec Xavier, présente sur un socle de la taille d’un grand lit leur collection personnelle de trésors. Accumulés depuis l’enfance, ces objets divers sont trempés un à un dans de la cire colorée qui les recouvre de manière irréversible; ils deviennent alors méconnaissables - quasi anonymes - sous ce cocon à la fois dissimulateur et protecteur. La cueillette d’idées est une activité que Xavier affectionne et qu’il concrétise ici par une récolte de ronces en lisière de forêt. Les plantes sauvages sont réunies en un immense bouquet dont les tiges épineuses envahissent l’une des salles de L’ac, se déployant avec souplesse comme les lignes d’un dessin dans l’espace. Usant de métamorphoses, de décalages, de détournements poétiques, les quatre artistes transfigurent le quotidien à travers leurs œuvres pour nous en révéler la part de magie. Une fève de l’Épiphanie se transforme en personnage de conte (le mège),la silhouette d’un homme drapé dans un rideau (Émanation du désir) suggère une apparition fantastique, alors que l’assemblage de deux burettes métalliques devient l’hypothèse de construction d’un pavillon. Une chose infime sert de point de départ pour raconter une histoire. À ce titre, l’installation vidéo Narp [43°22’21.3594’’ - 0°50’10.32’’] peut être lue comme une métaphore de l’activité artistique telle que ces artistes la conçoivent, et en particulier dans ce qu’elle doit au collectif. On y voit un groupe de jeunes gens nager à contre-courant dans une rivière, comme inconscients du risque lié à la profondeur et à la puissance du débit. Ils se relaient autour d’une corde dont l’extrémité émerge de l’eau, là où ils perdent pied et où le courant s’intensie ; de toutes leurs forces, ils l’empoignent et la tirent pour tenter d’entraîner vers la rive la chose invisible à laquelle elle est attachée. Cette œuvre nous rappelle que la création est une aussi une lutte et que pour la mener il vaut mieux être plusieurs. La corde est ce qui relie ces personnes à une aspiration commune. On peut d’ailleurs se demander ce qui a le plus de valeur, le résultat ou le chemin que l’on choisit pour l’atteindre.
Clémentine, chargée de l’exposition