Ruth Cornelisse
Texte extrait du catalogue de l’exposition Rendez-vous, Biennale de Lyon 2015 :
Chez Ruth Cornelisse, il y a d’abord un regard; celui qu’elle porte sur le monde qui l’environne par le prisme d’une culture personnelle nourrie de mythes, de peintures, de cinéma et de poésie. Les images qu’elle nous présente sont le résultat d’un processus d’observation au cours duquel la photographe alterne entre activité dans le quotidien et passivité de la contemplation. En léger décalage par rapport à l’action, elle prend le recul nécessaire à la prise de vue, jaugeant la distance du point de vue, au regard de sa relation avec le modèle. Mais contrairement à des photographes aux modes opératoires proches du photojournalisme, Ruth Cornelisse ne renseigne jamais le contexte de ses images qui restent “flottantes”.
Souvent, les personnages photographiés sont des proches, des connaissances, mais aucune indications dans les titres, aucun indice interne à l’image ne nous donne le moindre élément pour entrevoir la nature de leurs relations. Car là n’est pas le propos; contrairement à une photographe comme Nan Goldin dont la démarche est proche de l’album de famille, Ruth Cornelisse joue de la polyvalence des images et de l’intemporalité de la mémoire.
De ses photographies surgissent alors d’autres images, se superposant à l’instant photographié comme les fantômes imaginaires de ces figures capturées sur le vif, sans mise en scène. C’est en ce sens qu’elle reprend à son compte une déclaration d’Henri Cartier-Bresson parlant de mythologie grecque et du paganisme : “On les rencontre dans la vie de tous les jours ces dieux-là.” Pas étonnant donc, que la métamorphose soit un leitmotiv dans la démarche de l’artiste et Les Métamorphoses d’Ovide une référence omniprésente. Métamorphose d’un instant arraché au cours des choses en un moment d’intensité, condensateur d’images; métamorphose aussi lorsqu'elle passe de l'image à la sculpture, au dessin ou à l'installation comme en témoigne l'œuvre Achille et Cygnus. Par un jeu formel et gestuel où le cou d'un cygne photographié et une branche de noisetier pliée se font écho, l'artiste évoque la véhémence du héros mythologique Achille lors de son combat avec Cygnus.
Pour Rendez-vous|15, Ruth Cornelisse semble vouloir nous donner une indication supplémentaire : la durée ; comme si l'intemporalité de ses images ne remettait pas en question la métamorphose de ses modèles en proie au règne de la biologie. Ainsi, un enfant devenu adolescent apparaît sur deux images exposées à proximité l'une de l'autre.
Texte d'Antoine Huet
Crédits photos : Emile Ouroumov